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Pour le fond, ce blog, résolument textuel, aura l'aspect de regards sur une ville aimée et de digressions. Pour la forme, il aura une préférence pour des fragments, ce genre estimé de Roland Barthes ; il ne sera pas sans complicité non plus avec la diversité des figures, des hétéronymes que généra Fernando Pessoa, l'écrivain portugais. Barthes et Pessoa se gardaient ainsi de toute volonté de persuasion.

QUE SONT MES EMPATHIES DEVENUES ?

Publié le 2 Février 2017 par Lesnen PetitsBois

     Deux événements. Le premier m'a échappé. Le second m'a assailli. Le premier s'est produit dans la nuit du 22 au 23 novembre de l'an dernier. Le second a pris l'allure d'une bataille impossible à ignorer. Comme la guerre en Irak et en Syrie. Je n'ai appris le premier qu'au cours du mois de janvier 2017 : cette nuit de novembre, l'écothérapeute François Roustang s'est endormi pour toujours.

     Le second a été la publication, le 11 janvier 2017, de Décadence, de Jésus à Ben Laden, vie et mort de l'Occident, Flammarion. Une nouvelle grosse pièce de Michel Onfray. Le dimanche précédent, l'agitation médiatique avait déjà atteint un pic.

     Conséquence : l'envie de réviser mes empathies déclarées sur ce blog aux dates des 4, 10, 19, 25 novembre et du 4 décembre de l'année 2013. Je puis en signer encore toutes les lignes. Et pourtant.

    L'animateur de l'Université populaire de Caen a broyé tant d'édifices, au moins partiellement utiles au cheminement de notre espèce, pour les expédier à la déchèterie idéologique, que j'ai maintenant envie de quitter la salle où, grâce à France Culture, je l'ai longtemps écouté. Dans la spécialité qui fut la mienne, à savoir les origines chrétiennes, Michel n'a pas progressé. Dans l'émission La Grande librairie du 19 janvier, je me suis senti du côté de l'historien Patrick Boucheron, qui a dirigé la réalisation de l'ouvrage collectif, Histoire mondiale de la France, le Seuil, 12 janvier 2017. Ces temps-ci, le film L'Ami. François d'Assise et ses frères, de Renaud Fély et Arnaud Louvet, pose une question valable pour Jésus, pour le Poverello et tout autant pour notre époque. Il traite du rapport entre le souffle utopique et l'institution. Ce long métrage m'a poussé à relire l'ouvrage méthodique et subtil de Jacques Le Goff, Saint François d'Assise, Gallimard, 1999. Pour le savant médiéviste, il est difficile de pénétrer les intentions de François sur la fondation d'un ordre religieux. Il m'apparaît aussi malaisé de dégager celles du Jésus historique sur la fondation d'une Eglise. Pour autant, il n'est pas si simple que cela d'évacuer le Nazaréen de l'histoire, en galopant à travers les attentes messianiques de la Bible. Je persiste aussi à défendre l'œuvre fondatrice de Paul de Tarse, dont je ne suis plus le disciple. La méthode que j'ai apprise à l'Ecole Biblique et Archéologique Française de Jérusalem, je la retrouve chez le Goff et chez Boucheron. Pas chez Onfray. C'est pourquoi le souffle qui subjugue de nombreux adeptes, joint à une présence médiatique très people, ne peut répudier la quête scientifique ingrate aux résultats sans cesse corrigibles.

     François Roustang n'a sans doute atteint qu'au cours d'un long chemin sa posture finale. Si sa mort a été assez abondamment commentée dans les médias, il s'est lui-même laissé dissoudre. Les journalistes l'ont cherché, tant son témoignage valait la peine d'être recueilli. Il n'en avait pas besoin. Il n'attendait rien. J'ai particulièrement apprécié dans Philomag les interviews où il en vient à dire l'inutilité de raconter indéfiniment son malheur. Il faut éteindre la parole, la fatiguer, pour accéder au silence au cours duquel il peut se passer quelque chose. Et cela est aux antipodes de notre culture. François Roustang s'en est allé un peu comme le raconte la légende de Lao-Tseu. Le sage a quitté la cour lorsqu'il a compris qu'il ne pouvait plus rien faire contre la décomposition de l'Empire.

     Et pour finir, je demeure très attaché à la Sobriété heureuse de Pierre Rabhi et au symbole du colibri qui apporte sa goutte d'eau pour éteindre l'incendie. Je sais que son admirable exemple n'entraînera pas les foules, mais j'adhère à la signification d'un tel témoignage dans l'évolution d'une espèce aussi violente que la nôtre. Et là encore, je reviens au François d'Assise de Jacques Le Goff. L'historien écrivait, après avoir noté que le refus des livres et de la monnaie pouvait apparaître comme une dangereuse sottise : "Oui si François avait voulu étendre à toute l'humanité sa Règle. Mais justement François ne voulait même pas transformer ses compagnons en ordre, il ne désirait réunir qu'un petit groupe, une élite qui maintiendrait un contrepoids, une inquiétude, un ferment dans la montée du bien-être. Ce contrepoids franciscain est resté un besoin du monde moderne, pour les croyants comme pour les incroyants." En ce sens, François apparaît à Jacques Le Goff, comme "l'un des guides de l'humanité." (p.97) Je comprends ainsi le comportement de Pierre Rabhi.

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